Nouveau pont Champlain : peut-on encore attendre?

Les conclusions de plusieurs études ont établi que le pont Champlain n'était plus sécuritaire. On a investi des sommes considérables à des réparations temporaires, mais cela ne suffira pas. Les experts s'accordent pour dire que d'importantes portions de cette structure pourraient s'effondrer, en cas de secousse sismique majeure.

On sait tout cela depuis plusieurs années. En 2006, la firme Genivar recommandait la construction d'une nouvelle structure pour remplacer le pont Champlain. On soutenait alors qu'une décision rapide devait être prise. Un an plus tard, la firme Dessau soutenait que certains éléments étaient dans un état critique. En 2008, la firme Oxand avait présenté un rapport établissant que des éléments du pont représentaient un risque très élevé pour les usagers. Un rapport détaillé, préparé quelques années plus tard par la firme Delcan, soutenait qu’il y avait des risques importants d’effondrement du pont et qu'il n'a pas été conçu pour résister à un fort tremblement de terre, un ouragan ou une tornade.

Les travaux entrepris au cours des dernières années permettraient, selon les experts, d'éliminer les risques d'effondrement du pont pendant une dizaine d'années. Entre temps, on pourrait procéder à la construction d'un nouveau pont, en aval du pont Champlain actuel, puis à la démolition de ce dernier.
Donc, si tout se passe bien, le nouveau pont Champlain serait prêt en 2021, soit au moment où les structures actuelles auront atteint leur durée de vie, malgré les récents travaux de réparation. Il faut toutefois faire preuve de beaucoup d'optimisme pour arriver à cette conclusion, car tous les grands projets, en sol québécois, sont toujours marqués par des délais importants.

C'est dans ce contexte que l'ingénieur civil René Therrien a proposé une alternative au projet de Transports Canada pour la reconstruction du pont Champlain. M. Therrien n'est pas le dernier venu; au moment de prendre sa retraite, il comptait dix ponts majeurs à son actif. Il a d'ailleurs fait partie du conseil d'administration de la Société des ponts Jacques-Cartier et Champlain.

Le «Concept Therrien» serait réalisé en deux étapes. Dans un premier temps, on aménagerait des voies de chaque côté du pont actuel pour y détourner la circulation. Lorsque cette étape serait achevée, on remplacerait les travées centrales qui seraient ensuite utilisées comme voies additionnelles pour les véhicules et le transport collectif. Cet ingénieur à la retraite soutient que son projet serait beaucoup moins coûteux et qu'il pourrait être réalisé dans des délais plus courts.

À la demande de Transports Canada, la firme Arup a analysé le projet de l'ingénieur Therrien et elle arrive à la conclusion que celui-ci présente des lacunes majeures. Elle soutient (entre autres) que les piles existantes sont déficientes en termes de résistance aux tremblements de terre, ce qui entraînerait l'obligation de réparations exhaustives à ces éléments de même qu'aux fondations. L'étude d'Arup met aussi en doute la possibilité que la première étape du projet Therrien puisse être réalisée plus rapidement que la construction d'un nouveau pont complètement séparé. Arup affirme en outre que le projet de M. Therrien ne serait pas le plus économique.

Ces divergences ne sont qu'une autre illustration des entraves qui affligent tous les grands projets dans une société comme la nôtre. Comme le «Concept Therrien» s'oppose à un projet du gouvernement Harper, il ne faut pas se surprendre si le SCFP et le Bloc québécois l'endossent avec enthousiasme. Puisque le projet de Transports Canada préconise un partenariat public-privé (PPP), il ne faudra pas s'étonner, non plus, si d'autres groupes de pression se joignent à eux.
Je ne connais rien aux grands travaux d'infrastructures et je ne suis pas qualifié pour porter un jugement sur l'une ou l'autre des options envisagées pour le remplacement du pont Champlain. Par contre, du simple point de vue d'un usager, j'estime avoir le droit de m'inquiéter devant tout ce qui pourrait retarder ce projet.

À défaut de se satisfaire du rapport de la firme Arup, il me semble que l'on devrait procéder très rapidement à une autre analyse indépendante de la solution Therrien. S'il est vrai, comme le soutiennent plusieurs experts, que le pont Champlain constitue un risque pour la sécurité de ses usagers, chaque jour qui passe est un jour de trop.

Un commentaire de Pierre Vigneault
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