Déraciner les peuples et déconstruire les États

Il ne suffit pas que n'importe quel groupe s'autoproclame «minorité persécutée et malmenée»
pour d'un coup transformer ses revendications, aussi légitimes soient-elles, en droits fondamentaux

La dénaturation des droits

MATHIEU BOCK-CÔTÉ - 22 JANVIER 2014

Le Barreau a vertement dénoncé le projet de loi 60. La formule a été répétée cent fois : il aurait été taillé en pièces. Bernard Drainville devrait s’excuser d’avoir dérangé la population. Mais l’argument du Barreau se réduisait pourtant à une thèse simple: la proposition ne passerait pas le test des tribunaux et ne serait pas conforme à l’état actuel du droit.

Mais faut-il se coucher devant les juristes, les juges qui voudraient définir sans aide les termes du débat public? Je ne dis pas que les tribunaux n’ont aucun rôle à jouer dans notre société. Évidemment, ils sont indispensables. Mais notre société connaît une dénaturation du droit et des droits. Et une idéologie très radicale se révèle.

Sa vision de la société? D’un côté, une majorité potentiellement tyrannique. De l’autre, des minorités persécutées. Il faudrait neutraliser la première et libérer les secondes. Ce projet s’impose partout en déracinant les peuples et en déconstruisant les États. Il confie un pouvoir immense aux lobbies qui parviennent à jouer la carte victimaire. Partout il propose la même médecine: un individualisme si extrême qu’il va jusqu’à faire exploser l’idée même de société.

Minorités réelles

Évidemment que les minorités ont des droits. Encore faut-il qu’on parle des minorités réelles. Je pense par exemple à la minorité historique anglophone. Mais il ne suffit pas que n’importe quel groupe s’autoproclame «minorité persécutée et malmenée» pour d’un coup transformer ses revendications, aussi légitimes soient-elles, en droits fondamentaux. Par exemple, un immigrant n’a pas le «droit fondamental» d’obliger la société d’accueil à accommoder toutes ses coutumes.

Il y a, dans notre société, des «intégristes» de la Charte des droits. Ils la traitent comme un texte sacré. Celui qui refuserait de s’y convertir deviendrait un ennemi du genre humain. Mais vivions-nous en dictature avant la Charte des droits de Trudeau? Les pays européens vivaient-ils en tyrannie avant que la Cour européenne des droits de l’homme n’étende peu à peu son empire?

Disons les choses clairement: les chartes de droits ne sont pas des textes sacrés. Quand on dit qu’elles représentent le fondement indiscutable de nos sociétés, il faut répondre: qui a décidé cela? Serons-nous éternellement corsetés par elles? La vérité, c’est qu’elles étouffent la démocratie en retirant des mains des élus et du peuple les questions les plus importantes.

L’heure de la critique

Rappelons-nous le cas d’Éric et Lola: on définissait à ce moment la famille. Même chose avec la décision récente portant sur la prostitution. Pensons aussi aux lois linguistiques: l’Assemblée nationale a de moins en moins de marge de manœuvre. La Cour suprême domine. À quoi bon voter, alors?

La Charte des valeurs ne passe pas le «test des tribunaux»? Changeons le droit et bousculons ces idéologues camouflés en juristes qui prétendent déterminer seuls ce qui est permis et ce qui ne l’est pas. Un débat politique vaut plus qu’un débat juridique. L’heure de la critique des chartes des droits est arrivée.