À propos de cette étrange idée selon laquelle on devrait automatiquement et obligatoirement du respect aux religions

Peut-on critiquer les religions, les tourner en ridicule, les conspuer ?

Mathieu Bock-Coté

Jeudi, 20 août 2015

L’abject projet de loi 59 est actuellement examiné à Québec. On est en droit de se demander si la ministre qui le pilote est consciente de ce qu’il contient. On dirait plutôt qu’il lui a été imposé par la CDPDJ sans qu’elle ne comprenne vraiment ce dont il est question.

J’aimerais dire les choses le plus nettement possible à propos de cette étrange idée selon laquelle on devrait automatiquement et obligatoirement du respect aux religions, une idée que certains poussent si loin qu’ils voudraient interdire qu’on fasse preuve de dérision à leur endroit.

Je suis sincèrement attaché par la culture et par l'histoire à la religion catholique. Il m’arrive même de me croire croyant, ce qui me pousse au seuil de la conversion. Mais j'aimerais rappeler qu'on devrait avoir le droit de critiquer la religion catholique, de la conspuer, de la mépriser, de la vomir, sans risquer quelque réprimande légale ou politique que ce soit. On devrait avoir le droit de rejeter en bloc et sans nuances le catholicisme. On devrait avoir le droit de dire que Jésus n’est pas le fils de Dieu, que Marie n’était pas vierge ou tout ce qu’on voudra sans risquer sa peau.

On devrait avoir le droit de dire que la foi est une superstition idiote ne méritant rien d’autre qu’un peu de pitié, celle qu’on offre normalement aux simples d’esprit qui ont besoin d’une béquille spirituelle pour endurer l’existence et ses cruautés. On devrait avoir le droit de dire tout le mal qu'on veut de l'Église sans tomber sous la botte d'un croyant zélé ne tolérant pas qu'on ne croit pas la même chose que lui et voulant assurer la protection de ses dogmes par la loi. À ce que je sache, nous ne vivons pas en théocratie.  

Je vous critiquerai probablement. Je vous reprocherai de manquer de respect envers les fondements de notre civilisation. Je vous accuserai même d’être étranger aux exigences de la transcendance. Il se peut que je le fasse avec virulence, car vous susciterez chez moi quelque chose de semblable à l’indignation. Mais je ne vous attaquerai pas, je ne vous agresserai pas, je ne chercherai pas à vous faire condamner devant les tribunaux et je n’aurai jamais l’idée d’en appeler à je ne sais quelle punition divine contre vous, que certains messieurs résolus à l'action directe auraient la responsabilité de vous administrer.

La même chose devrait être vraie pour toutes les religions et toutes les idéologies sans se faire accuser de pratiquer je ne sais quelle phobie que ce soit. Je pousse l’audace plus loin : on devrait même avoir le droit de critiquer l’Islam. Les croyances des uns ne doivent pas borner la liberté d'expression des autres. Chacun a le droit à ses croyances, mais personne n’est en droit d’obliger son prochain à les respecter. Il n’y a pas de droit fondamental à faire respecter ses croyances, sauf à vivre dans une société qui veut écraser une fois pour toutes le jugement critique.

Le génie de la modernité occidentale, c’est de désacraliser politiquement les croyances métaphysiques et de forcer ceux qui les professent à endurer ceux qui n’en croient rien. Ainsi, l’esprit critique progresse et la liberté étend son empire. C'est justement parce que chacun accepte de voir ses convictions intimes tournées en ridicule ou même méprisées par ses contradicteurs sans pour autant prendre un sabre ou un pistolet pour se venger et sans non plus les poursuivre devant les tribunaux que nous vivons dans une société libérale, évoluée, démocratique.

C’est ainsi qu’on construit une société vraiment fidèle aux idéaux de liberté et cultivant authentiquement la tolérance : en cessant de céder devant les extrémistes qui voudraient nous obliger à communier aux mêmes croyances qu’eux. J’ai cru comprendre que certaines personnes nous reprochent cette liberté et nous invitent à faire taire les incroyants, les athées et les persifleurs. Ils nous souhaitent une société religieusement correcte. J’aimerais plutôt leur poser une question : pourquoi vivre ici, si une civilisation fondée sur la liberté vous révulse?

Une identité québécoise à assumer

Retour