Taha

Pour Taha et sa famille !

Je suis encore remuée par notre rencontre d’hier soir au centre Elgar de L’Île-des-Soeurs en soutien à la maman et au frère du jeune Taha Mouafiq mort dans les circonstances que nous connaissons tous maintenant, du moins en partie. Nous étions plusieurs centaines ; les médias disent 500, mais je pense que c’était au-delà. Les médias en disent bien des choses, mais peut-être qu’ils ne devraient pas publier certains détails non vérifiés.

Taha vivait dans un quartier que j’ai habité pendant 15 ans, alors je l’ai vu grandir. Il jouait avec tous les enfants du quartier qui s’en donnaient à coeur joie dans un environnement parfait pour des familles. Je ne pensais jamais vivre un jour dans un mélange ethnique aussi varié et tous les enfants ne voyaient pas leur différence, du moins il me semble. Il faut savoir comment ce pâté de maisons est construit pour mieux comprendre la complicité et les amitiés qui se développaient rapidement entre les jeunes : des maisons encerclées de jardins intérieurs où les enfants courent de l’un à l’autre. Taha était parmi eux.

Puis, d’année en année, on les voit grandir et s’épanouir comme de grands tournesols qui s’ouvrent au soleil.

Aujourd’hui, j’ai fait un pèlerinage et j’ai marché comme je le fais régulièrement en passant dans la forêt où il a été retrouvé. Il ne reste que quelques morceaux de bandes de plastique où il est écrit « police » et aucune trace de cette horrible agression. Heureusement, les feuilles mortes couvrent tout. Je ne verrai plus jamais cette entrée du boisé de la même façon. J’aurai toujours une pensée pour lui, abandonné lâchement alors qu’il a probablement agonisé au bout de son sang dans la nuit et dans le froid. Une rose a été déposée à l’endroit précis et les pétales qui restent correspondent presque au nombre d’années vécues par Taha. À l’entrée, des gerbes déposées sont toujours là. Tout à côté, dans la cour de l’école, c’est la récréation. Les enfants, fort heureusement insouciants du drame qui s’est déroulé tout près, jouent dans un piaillement festif.

J’ai ensuite fait le trajet à pied dans mon ancien quartier, passé devant sa maison, puis je me suis rendue au IGA où il travaillait comme emballeur. Aujourd’hui, il devait être là, c’était son horaire habituel. La caissière, à qui j’en parle, peine à retenir ses larmes. Elle n’arrive pas à se faire à l’idée qu’il ne reviendra plus. Il était apprécié de tous. J’aimais le faire rire quand il emballait mon épicerie et c’était facile. Ce rire-là, je ne l’oublierai jamais.

Hier soir, j’ai vu un rassemblement comme je n’en avais jamais vu à L’Île-des-Soeurs. Je pense que les gens ont découvert à quel point leur solidarité est forte. C’était géant. Il aurait même fallu un plus grand local. Je suis contente d’avoir vécu ce moment d’unité. Alors, Taha, c’est toi qui as réussi ça. Tu ne seras pas disparu pour rien ni de manière anonyme.

Quand j’ai parlé à sa mère, j’avais ces mots : « Pleurez maintenant, mais n’oubliez pas de vous réjouir de l’avoir connu. Je vous promets que sa mémoire restera vivante ! » Et je vais tenir promesse !

Lise Baucher-Morency