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Que le vrai Mouammar Kadhafi se lève!


Claude Lévesque   26 février 2011

La façon simple de décrire Mouammar Kadhafi est de dire qu'il est un cinglé dangereux. Les psychiatres préciseront peut-être qu'il souffre du trouble de «personnalité multiple». Ce qui est clair, c'est que cet homme théâtral a incarné plusieurs «personnages» depuis qu'il a pris le pouvoir en Libye: révolutionnaire, socialiste, champion des luttes anticoloniales, panarabiste et panafricaniste.

Il a porté certains de ces chapeaux tout au long de sa carrière de dictateur: ceux de champion du tiers-monde, de la démocratie directe ou d'une «troisième voie» entre le communisme et le capitalisme. Les autres, il les a mis sur sa tête au gré des circonstances.

Quand il renverse le roi Idris et prend le pouvoir en 1969, Mouammar Kadhafi est un jeune officier et un grand admirateur du président égyptien Gamal Abdel Nasser. Capitaine, il s'autopromeut, non pas général, mais seulement colonel, le grade qu'avait son idole.

Panarabiste

«Le panarabisme et le socialisme arabe étaient en pleine gloire. Après la mort de Nasser en 1970, Kadhafi s'est vu comme son héritier. Il voulait devenir le leader du monde arabe, mais il devait compter avec deux autres gros joueurs, l'Irak et la Syrie», rappelle Rachad Antonius, professeur de sociologie à l'Université du Québec à Montréal.

Mouvement qui a commencé à se développer dès le XIXe, le panarabisme vise à unifier les peuples arabes tout en valorisant leur culture commune. Après la Première Guerre mondiale, le sentiment nationaliste est très fort dans le monde arabe, qui reste divisé en vertu des accords Sykes-Picot.

Au cours du XXe siècle, le panarabisme s'est incarné dans divers partis et «régimes»: le Baas en Syrie et en Irak dans les années 1940, le «nassérisme» en 1952, avec le coup d'État qui renverse le roi Farouk en Égypte. Nasser a développé un nouveau courant panarabe, dont l'action est tournée contre l'Occident (nationalisation du canal de Suez, accords avec l'Union soviétique).

Dans le but de fédérer les pays arabes, Mouammar Kadhafi a tenté sans succès des unions avec l'Égypte, le Soudan, la Tunisie, l'Algérie et le Maroc. Il a réussi à conclure des alliances de circonstance, mais jamais des alliances fortes et durables. Surtout qu'il n'a cessé de critiquer les autres chefs arabes, rois ou présidents, pour ce qu'il considérait comme leur mollesse à l'égard des États-Unis ou d'Israël.

Son intervention dans le conflit au Liban à la fin des années 1970, puis les sanctions imposées à la Libye à la suite de l'attentat de Lockerbie (en 1988) ont scellé son isolement dans le monde arabe.

«Pour légitimer son pouvoir, Kadhafi a toujours regardé la direction du vent», note Sami Aoun, professeur de science politique à l'Université de Sherbrooke. Le panarabisme a été la première source nourricière idéologique de son pouvoir.»

Contrairement à l'Égypte, la Libye n'a pas de minorité chrétienne. Par conséquent, Kadhafi a pu glisser vers un «nationalisme arabe islamisant», observe le politologue. «Il a commencé à croire que tout Arabe doit être musulman et que tout musulman doit être arabisé.» 

Kadhafi n'a jamais été un islamiste, puisqu'il a violemment combattu cette mouvance, mais à l'instar de plusieurs autres leaders arabes laïques, il n'a pas hésité à islamiser la société et à exploiter les symboles de la religion pour consolider son pouvoir.

Panafricaniste

Si elle ne compte pas de chrétiens, la Libye abrite en revanche une importante minorité noire.

Au cours des années 1980 et 1990, Kadhafi s'est graduellement rapproché de l'Afrique subsaharienne qui, par le truchement de l'Organisation de l'unité africaine, avait d'ailleurs ouvertement dénoncé en 1998 les sanctions imposées à la Libye par l'ONU. 

«Il joue la carte du panafricanisme, toujours dans une optique de lutte contre le colonialisme, observe Rachad Antonius. Il appuie, dans toutes les petites "guéguerres" du continent, le côté qui lui semble se battre contre l'Occident. Au chapitre du panafricanisme, il a pu revendiquer quelques succès, du seul fait qu'il a pu verser beaucoup d'argent.»

Populiste

Mouammar Khadafi a toujours joué la carte populiste. Quand il a aboli la monarchie en 1969, il ne s'est pas proclamé chef de l'État, mais simplement «chef de la révolution». En 1977, il s'improvise penseur politique et publie un Livre vert dans lequel il jette les bases idéologiques de la «Grande Jamahiriya [république des masses] arabe libyenne populaire et socialiste», dont il se proclame le «Guide». 

Dénonçant les partis, les Parlements et toutes les institutions propres aux démocraties libérales, il instaure un système de comités et de conseils populaires, souverains en théorie, mais en réalité privés de tout pouvoir sur les grandes politiques et, surtout, d'un accès aux revenus pétroliers.

Mouammar Kadhafi a toujours insisté sur le fait qu'il n'est pas un chef d'État. «Je ne peux démissionner comme on me le demande puisque je n'exerce aucune fonction politique», a-t-il répété cette semaine.

Près de l'Occident

Pour Kadhafi, la brouille avec le monde arabe dans les années 1980 annonce, non seulement une politique tournée vers le Sud, mais également un lent rapprochement avec le monde occidental, qui s'officialise au début du nouveau siècle. En 2003, il reconnaît la responsabilité de ses agents dans les attentats de Lockerbie et de l'Airbus français qui a explosé au-dessus du désert du Ténéré, et accepte d'indemniser les familles des victimes. Ce geste lui vaut la levée des sanctions internationales. En 2004, il renonce à se doter d'armes nucléaires.

Le 11 septembre 2001, il envoie un message de sympathie aux Américains. «Il avait commencé ce rapprochement quelques années plus tôt. Par exemple, il avait usé de son influence pour faire libérer des otages détenus par le groupe islamique armé d'Abou Sayyaf aux Philippines, précise le politologue Sami Aoun. 

Quand les États-Unis envahissent l'Irak, il comprend que Washington veut des changements de régime dans la région. On dit aussi que la pendaison de Saddam Hussein l'a fortement marqué. Les deux régimes ne se ressemblent-ils pas étrangement?

S'il s'en trouvait encore pour douter que Kadhafi est avant tout un dictateur sanguinaire doublé d'un démagogue, ses discours délirants des derniers jours ont dû désillusionner ses derniers admirateurs. En blâmant la permissivité, la drogue et al-Qaïda pour la contestation qui le vise, le grand pourfendeur du colonialisme a piteusement imité les chantres de la droite américaine...

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