Les participants à la «marche des laïques» ont arpenté, dimanche, le centre de Beyrouth.

Le camp laïque tente une sortie au Liban 

Par Sibylle Rizk
26/04/2010

Dans un pays où les dix-huit communautés se partagent tout l'espace public, quelques milliers de personnes ont manifesté dimanche pour «desserrer l'étreinte». Sans illusions. 

«Ma confession ne te regarde pas.» C'est l'un des slogans de la Laïque Pride qui a réuni quelques milliers de personnes dimanche au Liban, pays aux 18 communautés qui «étouffent» leurs membres, selon l'expression d'un des manifestants.

L'appartenance communautaire est un marqueur indélébile pour les Libanais. Elle les empêche de se marier civilement, obligeant les couples mixtes à convoler à l'étranger à grands frais, à moins que l'un des deux époux ne se convertisse. Au moment du décès, les règles de succession diffèrent suivant les rites, instaurant de fait une inégalité de traitement entre, par exemple, une femme chiite, une sunnite, une Druze ou une chrétienne.

Des quotas limitent l'accès aux hauts postes administratifs dont l'attribution répond en conséquence rarement à des critères de compétence. Les mandats politiques, du sommet de l'État aux conseils municipaux, sont également partagés à l'unité près.

À l'Assemblée nationale, la norme fixe l'égalité des sièges entre chrétiens et musulmans, et la répartition de chaque moitié entre les différentes confessions.

Le projet de la marche des laïques est né sur Facebook de l'indignation d'un petit groupe de jeunes libanais vivant entre Paris et Beyrouth, à la suite d'une tentative d'interdiction d'un festival de rock par des instances catholiques. «Une énième interférence du religieux dans la vie sociale», estime Nasri Sayegh, l'un des organisateurs. L'idée d'une «Laïque Pride» a fait mouche : «En quelques heures plus de 2 000 personnes avaient virtuellement annoncé leur participation à la marche, nous incitant à la transposer dans le monde réel.»

Mission réussie : les manifestants, surtout des jeunes, étaient plus nombreux que prévu et heureux de s'en apercevoir car, dans le fond, «on sait bien que notre revendication est utopique dans le contexte libanais», dit Grégory, un professeur d'université.

«L'important c'est de maintenir la flamme, d'entretenir la perspective d'une alternative au système politique actuel, incontestablement en panne», fait valoir le sociologue Ahmad Beydoun, pour qui les chances de succès sont infimes, car la dynamique n'est absolument pas relayée au niveau politique. «Les Libanais sont sortis de la guerre de 1975-1990 avec l'angoisse qu'elle éclate à nouveau un jour, ou que telle ou telle communauté tente par des moyens politiques d'opprimer telle autre, de lui ôter ses droits.»

La tension reste vive, pas seulement au niveau interreligieux - entres musulmans et chrétiens - mais aussi au niveau intercommunautaire, notamment entre chiites et sunnites.

Levée de boucliers générale 

Les questions relevant en apparence du statut personnel remettent en cause le système politique tout entier, souligne Ahmad Beydoun. Ainsi justifie-t-on qu'une Libanaise mariée à un étranger ne puisse transmettre sa nationalité à ses enfants. «Chaque réforme entraîne les chefs communautaires dans des calculs pour mesurer son impact sur les équilibres démographiques. Chaque décision en mesure de desserrer le pouvoir des religieux apparaît comme une menace pour la cohésion communautaire.»

D'où la levée de boucliers générale. Côté musulman, la laïcité bute sur le fait que les règles du statut personnel sont parties intégrantes de la charia, la loi coranique ; côté chrétien, les réticences se situent davantage au niveau politique, car les quotas confessionnels font rempart contre le recul démographique de la communauté.

Vigilance Laïque

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