Publié le 27 septembre 2012

La leçon des carrés rouges

LYSIANE GAGNON
La Presse

Lettre aux employés de Gentilly-2

Mais qu'est-ce que vous faites avec vos protestations pépères contre la fermeture de la centrale? Réunions, pétitions, communiqués, assemblées de notables, arguments rationnels... Désolée, Messieurs-Dames, mais ce sont là des méthodes archaïques. Ce n'est pas ainsi qu'on fait avancer ses revendications dans le Québec post-carré rouge.

Sortez en masse dans la rue, munis des instruments que vous jugerez le plus aptes à effectuer le maximum de dégâts possible à la propriété publique et privée - bâtons, fourches, boules de billard, torches allumées, que sais-je. N'oubliez surtout pas de vous masquer le visage, et n'allez pas être assez bêtes pour avertir la police du trajet de vos manifs, la loi inique, ignoble et scélérate interdisant ces tactiques étant maintenant levée.

Cassez les vitrines des commerçants. Bloquez l'autoroute. Jetez des bombes puantes dans les autobus et des bombes fumigènes dans les trains. Lancez des briques aux policiers en les traitant de SS ou de gros porcs pour mieux les provoquer. Envahissez les bureaux gouvernementaux, démolissez le matériel et intimidez le personnel.

Vous manquez de volontaires? Faites venir le Black Bloc, ces serviables personnages se feront un plaisir de vous prêter main forte.

Vous manquez encore de renforts? Fermez les écoles et les cégeps de la région! Sortez-en les élèves et les profs manu militari. D'ailleurs, étudier, qu'ossa donne quand on peut devenir député à 20 ans avec juste un DEC?

C'est la rue qui mène aujourd'hui, Messieurs-Dames, et notre gouvernement serait bien mal venu de vous contredire là-dessus, lui dont les membres ont été les principaux soutiens des carrés rouges.

Il faudra élargir la lutte. Louez des autocars pour vous rendre à Québec (les centrales syndicales seront heureuses de défrayer la logistique, comme elles l'ont fait pour les carrés rouges).

Québec est le paradis du manifestant: il y a deux ponts, un aéroport et je ne sais combien d'autoroutes à bloquer, d'innombrables locaux gouvernementaux à vandaliser, il y a plein de petites rues où vous pourrez jouer à la guérilla urbaine avec la police, et du haut des belvédères on peut jeter des roches sur la majorité silencieuse de la basse ville.

Autre avantage de la capitale, on y croise nombre de politiciens. Ne vous privez pas de les injurier en les accusant de fascisme ou, pire, de néo-libéralisme.

Commencez par réclamer du gouvernement Marois l'équivalent de ce que les carrés rouges ont obtenu du gouvernement Charest à propos des universités : la moitié des sièges au conseil d'administration d'Hydro-Québec dans le but d'y trouver du gaspillage, auquel cas vous réclamerez ces surplus pour la réfection de Gentilly-2.

Quand le gouvernement aura plié là-dessus pour acheter la paix, ne vous satisfaites pas de si peu. Réclamez des augmentations de salaire, un meilleur régime de retraite, l'abolition de vos frais d'électricité personnels... si vous manquez d'idées, demandez conseil à l'Archange Gabriel.

Quand finalement le gouvernement annoncera la relance de Gentilly-2, n'allez surtout pas lâcher ce qu'on vous avait offert en échange de la fermeture de la centrale. Les carrés rouges n'ont-ils pas obtenu à la fois le gel et la bonification de l'aide financière que leur avait offerte le gouvernement en échange de la hausse des droits de scolarité?

Prenez exemple sur eux, ils savent comment avoir le beurre, l'argent du beurre et les faveurs de la crémière.

Occupez donc la rue en toute confiance : la première ministre ne sera pas insensible à vos méthodes. N'était-elle pas la plus enthousiaste groupie des carrés rouges?

Il se peut que vous tombiez sous le coup d'accusations criminelles. Bah! Ne vous en faites pas. Comme les carrés rouges, vous exigerez l'amnistie!

.