Un prêtre s'oppose à la droite religieuse

Mathieu Perreault
La Presse
Le samedi 15 septembre 2007

En juin dernier, Barack Obama a prononcé un discours au congrès annuel de l'Église unie, à Hartford. Le candidat à l'investiture démocrate a mentionné à deux reprises ses projets pour une «administration Obama». À chaque fois, Barry Lynn a sursauté.

Le révérend Lynn n'est pas seulement prêtre de l'Église unie, l'une des plus «libérales» de la galaxie protestante (des femmes ont été ordonnées dès le milieu du XIXe siècle, et le premier homosexuel en 1972). Il est aussi directeur du groupe Americans United for Separation of Church and State, qui porte souvent plainte contre des commissions scolaires qui enseignent le créationnisme. Le groupe intente aussi des poursuites contre des prêtres qui prennent parti pour ou contre un politicien, ou contre des juges qui installent des monuments religieux dans un palais de justice. Ce week-end, il participe à un congrès sur «le pluralisme, la politique et Dieu» au centre Newman de l'Université McGill.

«Je pense que, techniquement, les mentions de l'administration Obama ne contrevenaient pas aux lois fiscales», estime le révérend Lynn, rencontré dans un café du centre-ville. «Mais c'est regrettable qu'elles aient eu lieu.» La principale punition que le gouvernement américain peut infliger aux pasteurs qui s'engagent en politique est de leur retirer leur statut fiscal enviable. Pour cette raison, quelques Églises minuscules, généralement de la droite libertaire selon le révérend Lynn, ne réclament pas d'exemption fiscale. Certains n'ont aucune gêne, cependant: un pasteur de Floride bénéficiant des exemptions fiscales vient d'annoncer qu'il a recueilli 2,5 millions de signatures contre le politicien républicain Mitt Romney, parce qu'il est mormon, selon le révérend Lynn.

«Les dernières décennies ont vu une augmentation inquiétante de la contamination entre politique et religion, estime le révérend Lynn. Il faut être très vigilant. Les stratégies juridiques des opposants à la séparation de l'Église et de l'État sont de plus en plus raffinées. Je suis aussi avocat et je ne pense pas qu'il y ait eu un moment plus approprié pour porter les deux casquettes.»

Par exemple, la droite religieuse publie souvent des «guides de l'électeur» qui indiquent la position de différents politiciens sur différentes questions, généralement morales. «Les républicains ont toujours l'air de saints et les démocrates de personnages directement tirés de Nightmare on Elm Street (un film d'horreur). Je pense que petit à petit, le fisc se dirige vers l'interdiction de ces guides. Mais c'est une question d'interprétation très délicate.»

Certains commentateurs de droite, notamment dans le Wall Street Journal, ont souligné que, dans les années 60, l'Église catholique a excommunié certains politiciens opposés à la déségrégation et que les Églises protestantes ont été à l'avant-plan de cette lutte. Les pasteurs de droite sont-ils jugés plus sévèrement que ceux de gauche? «Il faut préserver la capacité des Églises de s'exprimer sur des débats de société, sur leurs valeurs, répond le révérend Lynn. Notre organisme a attaqué aussi souvent des pasteurs de gauche que de droite. Nous avons souvent rencontré les éditorialistes du Wall Street Journal pour leur présenter ces données.»

Il y a cependant des victoires nettes. L'an dernier, un juge de Dover, en Pennsylvanie, a pourfendu l'adoption par une commission scolaire de cours de créationnisme, estimant qu'il s'agissait de religion à peine déguisée. Un mois après, le révérend Lynn a envoyé le jugement à une commission scolaire californienne qui venait d'approuver un cours de créationnisme. Cette dernière a immédiatement abandonné son projet. «Mais ce n'est pas fini. Certains groupes de droite affirment maintenant que la liberté de religion des enseignants est protégée par le premier amendement de la Constitution. Et d'autres tentent d'imposer des cours sur la controverse entre évolutionnisme et créationnisme.»

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La controverse tombe mal pour Mitt Romney qui, demain, va chercher à faire le plein dans les sept primaires et trois caucus du «Super Mardi». De quoi s'agit-il? L'Église mormone à laquelle il appartient baptise à titre posthume des victimes de l'Holocauste et des juifs célèbres. Anne Frank, l'adolescente allemande connue pour son journal intime et morte du typhus au camp de Bergen-Belsen, a été baptisée par procuration le 18 février en République dominicaine. Un mois plus tôt, c'était le tour des parents de Simon Wiesenthal, le chasseur de nazis. Il y a quelques jours était «béni» Daniel Pearl, le journaliste du Wall Street Journal décapité au Pakistan en 2002 à la suite des attentats du 11 septembre. Parfois, les baptisés sont bel et bien vivants. Elie Wiesel, prix Nobel de la paix (1986) et rescapé d'Auschwitz, vient d'apprendre qu'il est sur la liste. Choqué, l'écrivain de 84 ans demande à Romney de «parler à son Église» pour faire cesser ces baptêmes de morts destinés à sauver des âmes et à leur ouvrir les portes du paradis.