La « Fitna » chez nous

L'article de Rania MASSOUD
L'Orient-Le Jour
Mars 2008

Fitna, de Geert Wilders, est un film violent, biaisé, simpliste et simplificateur. Un film qui donne une très mauvaise image de l’islam. Fitna illustre toutefois comment des centaines de milliers d’Européens, la plupart partisans de partis d’extrême droite, perçoivent la menace islamique contre leur territoire. À leurs yeux, l’islam est synonyme de violence, de terreur, de voile, d’excision, de lapidation, de crimes d’honneur et de polygamie... Tout ce que la civilisation occidentale condamne fermement. Une vision « terrorisante » de l’islam qu’el-Qaëda, ainsi que d’autres groupes fondamentalistes, ont clairement contribué à cultiver à travers des attentats sanglants et des actes de violence, dont certains liés à l’affaire des caricatures de Mohammad.

Le film du député néerlandais d’extrême droite nous rappelle également que le fondamentalisme existe en Europe aussi. Il y a aujourd’hui une montée en puissance (politique et médiatique) des partis d’extrême droite dans plusieurs pays de l’UE, dont, notamment, la Belgique avec le Vlams Blok, l’Autriche avec le FPÖ, l’Allemagne avec les NPD et DVU, le Danemark avec le PPD, les Pays-Bas avec le BNP...

Fait intéressant : la sortie du film de Wilders coïncide avec une certaine ouverture religieuse dans de nombreux pays arabes, notamment les monarchies du Golfe. Le 15 mars dernier, les chrétiens résidant au Qatar ont assisté à une messe donnée dans la première église construite dans ce pays. Le même jour, on apprenait que le Vatican discute avec les autorités saoudiennes l’autorisation de construire des églises dans le royaume wahhabite. Cette annonce est d’autant plus surprenante que l’Arabie saoudite interdit l’exercice sur son sol de toute autre religion que l’islam.

Ironiquement, on apprenait, le même jour, la mort de l’archevêque chaldéen de Mossoul, Faraj Rahou, victime des violences confessionnelles en Irak.
Ironiquement, oui, car si un certain nombre de pays musulmans connaissent aujourd’hui une ouverture religieuse sans précédent, d’autres pays arabes – pourtant historiquement plus modérés, comme l’Algérie, le Liban, l’Égypte et les territoires palestiniens – se laissent aller à un regain de fondamentalisme. À Alger, où les dignitaires chrétiens sont accusés de prosélytisme, les autorités ont récemment suspendu toute activité dans treize temples et lieux de prière, situés pour la plupart en Kabylie. Cette décision a été prise dans le cadre de la nouvelle loi de février 2006 exigeant une autorisation préfectorale pour l’exercice du culte des non-musulmans. Le Liban, quant à lui, a connu un été sanglant en 2007 lorsque l’armée a combattu pendant plusieurs mois les islamistes de Fateh el-Islam dans le nord du pays. Un peu plus loin, en Égypte, la montée en puissance des Frères musulmans est incontestable, alors que dans les territoires palestiniens, le Hamas contrôle la bande de Gaza.

Fitna n’est, en fin de compte, qu’un film de quelques minutes. Un film de très mauvais goût, réalisé par un homme qui semble chercher à se faire de la publicité par n’importe quel moyen.

Fitna n’est pas vraiment le problème. Le danger, le vrai, il vient de Bagdad, de Bassora, de Mossoul, de Beyrouth, du Caire, d’Alger, de Gaza, de Damas, de Rabat, de Tunis… Le défi, aujourd’hui, est de s’attaquer au vrai fléau qui envenime cette partie du monde, autrefois connue pour sa diversité religieuse, sunnite, chiite, chrétienne, druze et même juive. Le fléau en question n’est autre que le fondamentalisme, l’intolérance et l’extrémisme, sous toutes leurs formes. Le fléau en question, c’est la « Fitna » chez nous.

Rania MASSOUD