Le merdier

 

Richard Martineau
16 Février 2010

Le merdier

Il y a quelque temps, un lecteur se demandait pourquoi les enseignants avaient droit à deux mois de congé, l’été.

Pour cet homme, c’était un passe-droit, une injustice.

J’en avais parlé à Lucien Francoeur, qui enseigne au cégep.

« Tu sais pourquoi on a deux mois de congé ? m’a t-il répondu. Parce que si on n’avait pas ça, on se tirerait une balle dans la tête. »

Quand je lis le reportage de mon confrère Sébastien Ménard, qui s’est fait passer pour un suppléant, je comprends ce qu’il veut dire.

Non seulement j’aurais le goût de me flinguer moi aussi, mais je ne tiendrais pas deux mois.

MOURIR AU FRONT

Enfants-rois insolents, parents agressifs, réformes bancales, « pédagogues » déconnectés, bureaucratie étouffante, directeurs qui passent leur temps à remplir des formulaires…

Les profs (surtout ceux qui enseignent au secondaire) en prennent plein la gueule. Comme les infirmières qui travaillent dans les salles d’urgence (et qui, tous les jours, sont confrontées à des cas de toxicomanie, de maladies mentales et de violence conjugale), ils pataugent littéralement dans la merde.

Chaque fois qu’un parent « flushe » ses responsabilités, chaque fois qu’un technocrate accouche d’une réforme-bidon, chaque fois que le Ministère coupe dans les services d’aide psychologique, ça leur tombe directement sur la tête.

Pas étonnant qu’un aussi grand nombre d’entre eux décrochent. On leur demande de gagner la guerre contre l’ignorance avec des mousquets.

On leur dit de tenir bon, on leur promet que l’artillerie va venir leur porter renfort, mais l’artillerie ne vient pas, l’aviation ne se pointe pas, et ils tombent comme des mouches au front…

REFLET D’UNE ÉPOQUE

Qu’est-ce que vous voulez que des profs fassent contre l’air du temps ?

Avez-vous déjà essayé de stopper un ouragan avec un dictionnaire, vous ?

Je vous ai déjà parlé du film Une semaine de vacances, que Bertrand Tavernier a tourné en 1980.

Dans une scène particulièrement touchante, le comédien Michel Galabru (qui interprète le père d’un enfant en difficulté) parle de son fils.

« Vous savez, de nos jours, les enfants ne ressemblent pas à leurs parents, dit-il. Ils ressemblent à leur époque. Mon fils n’est pas un Mancheron : c’est un 80. »

Idem pour nos enfants. Ils sont le reflet d’une époque qui privilégie la facilité à l’effort, l’insolence à la politesse, l’argent au savoir.

Ce ne sont pas des Tremblay ou des Martineau : ce sont des 2010.

Et des 2010, c’est l’enfer.

DIPLÔME À VENDRE

Dans le numéro printemps-été 2009 de l’excellente revue Argument, Christian Bouchard, un prof de Trois-Rivières, écrit ce qu’il pense du système d’éducation moderne :

« Au nom de la démocratisation de l’enseignement, mais au mépris du peuple, une certaine gauche universitaire, lénifiante, avilissante, sociologisante, fonctionnariste, aura adopté comme mot d’ordre une insulte : “Abrutissez-vous !”

« N’apprenez plus à écrire ni à lire, ne respectez plus les règles de grammaire, ne vous cultivez plus, changez le monde en restant ce que vous êtes.

« Résultat : des étudiants dépourvus de tout sens critique assujettis aux lois du marché. L’étudiant est un client ; l’enseignement est un produit ; le diplôme est à vendre. »

SENS DES PRIORITÉS

Pendant que le navire coule, la ministre de l’Éducation négocie depuis DEUX ANS avec des ultra religieux pour les accommoder.

C’est ce qu’on appelle avoir le sens des priorités.

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