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La CLASSE et sa vision d’une « négociation »

Patrick Lagacé

La Presse 25 avril 2012

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La CLASSE s’est choisie l’hiver dernier quatre délégués pour la représenter dans un éventuel comité de négociation. Il s’agit de Shanie Morasse, Philippe Lapointe, Justin Arcand et Nicolas Lachance-Barbeau. Tous les candidats devaient présenter un texte pour mousser leur candidature. Or, trois des candidats sélectionnés — Mme Morasse, M. Lapointe et M. Lachance-Barbeau — en ont profité pour décrire leur vision de ce qu’est une négociation, dans le contexte actuel.

Je les cite…

Shanie Morasse :
« Plusieurs raisons m’ont poussé à vouloir me présenter sur le Comité négociation de la CLASSE. Je crois que dans la vie je ne suis pas vraiment portée à vouloir aller sur ce genre de comité, je n’aime pas négocier, je n’aime pas les fédés et je n’aime pas le gouvernement. Par contre, j’aime faire des bilans. En fait, avant qu’un ami m’en parle un peu à la blague je n’avais jamais pensé imaginer me présenter sur ce comité.

Philippe Lapointe :
Ce comité, dit de négociation, devra non pas négocier, mais exiger. En déposant un cahier de revendications et en servant de courroie de transmission entre le congrès de la CLASSE et la table de rencontre avec le gouvernement, le comité servira à démocratiser le processus de discussion avec le gouvernement. Il n’est pas ici question de représenter les intérêts étudiants, mais bien de servir de délégué, sans pouvoir décisionnel

Nicolas Lachance-Barbeau :
La première fois que je me le suis fait demander, je n’avais pas l’intention de me présenter sur le comité de négociation. J’ai répondu que d’aller m’assoir avec les gens du ministère de l’éducation était contre mes valeurs. Puis je me le suis fait redemander. J’ai répondu la même chose. Plus je donnais cette réponse, et plus on me le demandait. J’ai finalement compris que c’est justement PARCE QUE c’est contre mes principes qu’on me le demande.

Interloqué, j’ai écrit à Gabriel Nadeau-Dubois, porte-parole de la CLASSE, pour lui demander des explications. La CLASSE va aller négocier quoi, avec la ministre Beauchamp, si l’essentiel de son comité de négo promet de ne pas… négocier ? Réponse de GND :

Cela dit, l’essentiel de ce qui y est écrit ne doit pas être pris à la légère: les lettres ne reflètent pas un refus de négocier, mais un refus de prendre des décisions sans consulter les assemblées. Les membres du comité de négociation sont, comme moi, des porte-paroles. Ils n’ont pas le pouvoir de refuser ou d’accepter des offres.

Leur rôle est simple, en fait: discuter avec la délégation du MELS pour en tirer le plus possible. Aller chercher tout ce qu’ils et elles peuvent aller chercher. Lorsqu’une offre formelle sera faite, les membres du comité de négociation iront présenter cette offre dans les assemblées générales, qui l’accepteront ou la refuseront. C’est sur ce point, je crois, que les lettres sont intéressantes: notre comité de négociation est formé de gens qui ont à coeur nos principes de démocratie directe et de décentralisation. Et c’est pour cela que les lettres insistent sur le fait “qu’ils n’ont pas le goût de le faire”: cela n’est-il pas le meilleur moyen de se protéger contre les dérives autoritaires qui peuvent naître si facilement dans ce genre de contexte?

Depuis leur élection en février, ils et elles ont eu-e-s de longues heures de lectures, de formation et de préparation. Ils et elles sont tout à fait prêts et prêtes et le Congrès de la Coalition leur fait totalement confiance pour accomplir leur mandat!

Dans sa réponse, le porte-parole de la CLASSE souligne l’aspect humoristique des mises en candidature. C’est vrai, il y a de l’humour dans certains passages, notamment quand un des candidats parle de sa cravate à motifs de canards, que je n’ai pas inclus dans mon courriel à GND, justement parce que ça n’a pas de lien avec le noeud (moi aussi j’ai le sens de l’humour*) de mon questionnement.

S’ils ne vont pas négocier, ils vont faire quoi ?

Négocier, ce n’est pas exiger. C’est du troc. C’est transiger.

Ce qu’on lit là, c’est le contraire d’une négo. Pour le vase clos de la militance de la CLASSE, peut-être que c’est simplement l’expression de convictions en acier trempé. Mais pour la moyenne des ours, c’est de la mauvaise foi crasse, j’en ai bien peur.

Aucun rapport : c’est peut-être formidable, la démocratie directe, le refus global d’une quelconque autorité. Peut-être qu’à l’intérieur de la CLASSE, c’est un mode d’interaction idéal qui comble les membres et les « instances » de bonheur. Mais pour interagir avec le monde extérieur, c’est de la bouillie pour les chats. Pour le monde réel, c’est loin d’être commode. C’est pas sérieux.

je l’ai écrit, je l’ai dit cent fois : rien ne pouvait justifier, ces derniers mois, même avant la grève, le refus de Québec de négocier avec les associations étudiantes. Mais pour la CLASSE, quand je lis ces mises en candidatures, quand je lis les justifications de Gabriel Nadeau-Dubois, je me dis qu’à la place de Line Beauchamp, pas sûr que j’aurais envie de négocier avec des gens qui a) n’ont pas de mandat de négocier b) confondent les verbes exiger et négocier c) ont parfois même comme valeur de ne pas négocier d) clament avoir pour valeur de ne pas s’asseoir avec des gens du ministère de l’Éducation.