Iran

«Pour la première fois, on n'a pas eu peur»

Le Devoir   Proche-Orient

Libération  30 décembre 2009

Un des milliers d’Iraniens qui ont manifesté dimanche dernier dans les rues de Téhéran.

Une ville verte, une ville rouge. C'est ce que décrit d'abord Vida, une jeune avocate de Téhéran, qui a participé, dimanche du soir au matin, aux manifestations contre le régime islamique. Verte, parce que le «mouvement» a couvert les murs des immeubles de peinture verte, la couleur de l'opposition, qui est à la fois celle de l'islam et du printemps, du renouveau. Rouge, parce que, dit-elle, «il y avait du sang sur les trottoirs, sur la chaussée. Partout, du sang». «C'était très triste mais, en même temps, il y avait quelque chose d'émouvant», ajoute la jeune femme, qui a pu être jointe au téléphone et qui, malgré la certitude d'être sous écoute, a accepté de témoigner en persan.

«Le serpent est blessé et, quand il est blessé, il mord parce qu'il ne craint plus rien.» Ce vieux proverbe persan, Vida l'utilise pour qualifier le sentiment qui habite alors la foule, du moins une partie, qui, ce dimanche, a pour la première fois renoncé aux mots d'ordre de non-violence des dirigeants de l'opposition. «Cette fois, raconte-t-elle, c'était vraiment très différent des manifestations précédentes. Les gens avaient compris qu'il fallait qu'ils se battent. Avant, il suffisait qu'un manifestant prenne peur, commence à courir pour que nous nous mettions tous à courir derrière lui, saisis à notre tour par la panique. Mais, dimanche, pour la première fois, on n'a pas eu peur face aux bassidjis [miliciens]. Et quand l'un de nous a couru, c'était pour les attaquer, et nous l'avons suivi. Nous avons même saccagé des postes de police.» «Les garçons ne portaient même plus leur masque», ajoute-t-elle, ce que confirment nombre de vidéos amateurs.

«Face aux bassidjis, nous étions comme les deux plateaux d'une balance», poursuit-elle. Mais, cette fois, c'est celui des miliciens que la peur faisait pencher: «On sentait que, face à notre nouvelle attitude, les bassidjis perdaient de leur force. Nous, nous nous prenions la main pour montrer que nous n'avions pas peur.»

Vida raconte avoir vu plusieurs miliciens encerclés par la foule et déshabillés de force, leurs vêtements étant ensuite brûlés. «On a mis la main aussi sur des lebas shakhsis [des hommes en civil, qui ont la réputation d'être terriblement brutaux]. C'étaient simplement des brutes que les autorités avaient engagées. Ils nous ont dit qu'ils avaient reçu 400 000 tomans [environ 450 dollars] pour taper sur les manifestants. Ils ne savaient même pas pourquoi.»

«Avec ma soeur, poursuit la jeune avocate, on s'est éloigné des manifestations pour chercher des toilettes. En sortant, elle m'a dit: "Écoute, on n'entend que les femmes." Et, effectivement, c'était hallucinant d'entendre leurs voix. C'était un son aigu, si terriblement aigu qu'il faisait reculer les bassidjis. Un peu plus tard, l'un d'eux s'est approché de moi. Il portait un portrait du Guide: je l'ai déchiré. Alors, il s'est jeté sur moi. La foule est venue à mon secours et l'a battu presque à mort». Quant aux bassidjis, Vida relate que ceux-ci, autour de la grande place Azadi, se sont servi d'épées, celles qu'utilisent traditionnellement les fidèles pour se frapper la tête lors des défilés de l'Achoura (qui commémore le sacrifice d'Hossein, l'imam préféré des chiites), pour attaquer les manifestants. «Ils commettaient ainsi un très grand péché. On n'a pas le droit de faire du mal à quelqu'un pendant l'Achoura.»

Selon Vida, les affrontements ont été particulièrement violents dans le quartier de Niavaran, au nord de Téhéran, autour de l'ancienne demeure de l'imam Khomeiny, où s'est rendu l'ancien président Mohammed Khatami, et que les bassidjis ont investie, brisant là encore un autre tabou.

Ce que souligne aussi Vida, c'est la réactivité des manifestants. Lorsqu'ils ont appris que l'ancien président Ali Akbar Hachemi Rafsandjani venait d'être reçu par le Guide, ce qui a attisé leurs craintes que les deux leaders s'entendent sur leur dos, ils ont réagi aussitôt par des slogans moqueurs: «Quand on ne veut pas de l'âne [le Guide], alors on nous change de pâloun [petit sac à poches que portent les ânes, ici le mot prend le sens de président].»

Pendant quelques minutes, la jeune avocate a ensuite discuté avec un vieillard de 90 ans, intriguée qu'il soit venu avec son épouse, âgée de 75 ans, dans ces rues que la proximité des bassidjis et des lebas shakhsis rend dangereuses. «Il m'a dit qu'il était là parce qu'il ne voulait pas être dirigé par des imbéciles qui ont maltraité l'un de ses enfants.» Prochaine étape: le jeudi 7 janvier. D'autres manifestations sont prévues à cette date et un défi inimaginable il y a quelques jours encore sera lancé au régime: «Nous voulons que ce jour soit celui du kashf-e hedjab [ôter le hidjab]. Toutes les femmes seront invitées à enlever leur voile. Ce sont les garçons qui, exceptionnellement, le porteront.»

Le kashf-e hedjab fait référence au «jour du kashf-e hedjab» institué par Reza Chah Pahlavi, le père du dernier chah, au cours duquel les femmes se voyaient interdire, autre époque, de porter le voile.

Jean-Pierre Perrin - Le Devoir

Nous reprendrons l’Iran

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