Chronique d'une radicalisation quotidienne

Estonne

Par

Sophie n'est pas née de la dernière pluie. Cela fait vingt ans que cette professeur de philosophie enseigne dans divers établissements de l'Essonne. Elle a rencontré toute sorte d'élèves issus de milieux sociaux variés et de confessions diverses. Depuis une dizaine d'années, elle constate avec regret et inquiétude des changements profonds dans les comportements des jeunes qui se succèdent dans sa classe. Ce qu'elle appelle une "radicalisation" qui, combinée à des renoncements quotidiens de la part de l'Éducation nationale, finit par engendrer une situation explosive dont plus personne ne sait comment s'extirper. Témoignage :

"Le tournant, pour moi, c'est le 11 septembre 2001 : cela a délié une parole jusque-là retenue, du moins devant les enseignants. Lors du vote pour élire les délégués de classe, début octobre 2001, plusieurs bulletins de vote portaient le nom de Ben Laden. Quand je m'en suis offensée, des propos de haine ont fusé : C'est bien fait pour les Américains ! puis à notre encontre : Il faut foutre le feu à cette ville ! Afin de susciter la réflexion, leur réflexion, la semaine suivante, j'ai distribué un texte de Platon sur la démocratie. Deux élèves ont refusé de le prendre, l'un des deux l'a jeté par terre et, en sortant, s'est essuyé les pieds dessus. Le cours suivant fut très dur, il a commencé par des insultes contre "les juifs chrétiens", puis un refus de travailler et de nouveau il faut foutre le feu dans cette ville et autres propos violents. Le ton est monté entre nous et à la fin du cours ils ont réussi, après la sortie de tous les élèves, à se positionner devant la porte pour que je ne puisse pas sortir. Là, ils m'ont insultée en me tutoyant et en me traitant plus bas que terre, faisant sans cesse un geste du pouce autour du cou et en me disant : On te retrouvera. L'administration du lycée a convoqué la commission disciplinaire, aucun des parents n'est venu, ni même le second élève. Je suis aussi allée porter plainte au commissariat qui n'a pris qu'une main courante.

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