D’où vient la terreur islamiste ?

Le monde musulman va très mal. Le récent assassinat de Bénazir Bhutto en est le plus récent exemple, qui promet de précipiter le Pakistan nucléaire dans un sanglant chaos terroriste. Une fois de plus se pose cette lancinante question: d’où vient la terreur islamiste? Qui a accouché de ce monstre dont les musulmans sont les premières victimes, il ne faut jamais l’oublier, mais qui mène aussi son Jihad barbare à coups d’attentats au cœur de l’Occident haï?

Dans son édition du 30/12/2007 et sous la plume du poète et écrivain germano-turc Zafer Senocak, le grand quotidien conservateur allemand Die Welt donne la réponse sous la forme d’un titre-choc : "La terreur vient du cœur de l’islam".

Qui est Zafer Senocak ?

Zafer Senocak est né en 1961 en Turquie, dans une famille musulmane d’Ankara. Poète, romancier et essayiste, il a commencé à se faire connaître en Allemagne, son pays d’adoption, en publiant à partir de 1984 des écrits traitant des rapports complexes entre le monde musulman et l’Occident en général et sur sa condition d’intellectuel turco-allemand à cheval entre deux cultures en particulier. Vivant à Berlin depuis 1990, écrivant dans la langue de Gœthe, il exerce la profession de traducteur, ce qui lui permet de poursuivre son œuvre romanesque. Son dernier ouvrage traduit en français est L’Erottoman, (éd. L’Esprit des péninsules 2001), qui traite des rapports entre sexe et religion et qui est basé sur son expérience personnelle de l’islam dans la Turquie profonde très superficiellement laïcisée : "J’écris en puisant dans les traditions religieuses de mon enfance. L’islam jouait un grand rôle chez moi. Or, en même temps, la Turquie, où j’ai vécu avant de venir en Allemagne, est un pays sécularisé politiquement. La religion y existe au plan privé, dans la maison, qui pour moi est un lieu de rupture avec l’ordre social. La religion comporte un certain nombre de tabous. Moi, j’écris sur le plus grand de tous les tabous, la sexualité, où l’expérience métaphysique de la religion rencontre le corps. A ses débuts, l’islam réunissait les deux, la religion et le corps, puis ils se sont séparés. En écrivant, j’essaie de les réunir à ma manière. J’écris sur des êtres masculins et sur leur perception de la virilité, voire de leur masculinité. La sexualité permet de s’interroger sur les rituels de la religion".

Il n’a donc pas le profil d’un islamophobe primaire, pas plus que son collègue Orhan Pamük, prix Nobel de littérature et prix Médicis étranger pour son très beau roman Neige, dans lequel il décrit l’insidieuse et liberticide réislamisation de la société turque. Plutôt celui d’un esprit libre qui s’est déconditionné de ses déterminismes socio-culturels (dont le conditionnement religieux fait partie) et qui porte un regard calme et lucide sur la situation de l’islam dans son pays natal, la Turquie. Voici d’ailleurs ce que Zafer Senocak écrivait récemment sur ce sujet dans le Frankfurter Rundschau : "En fin de compte, seule une culture de l’individualisme peut ouvrir une brèche dans cette société fermée. Voilà ce qui met la communauté au défi et la transforme. Tôt ou tard, cette transformation trouvera également son expression dans l’art. C’est dans la littérature et le cinéma turcs que la modernisation de la société turque doit se manifester. Toutefois, il ne s’agit pas d’écrire un roman ’musulman’. Une telle tentative serait aussi peu fructueuse que toutes les autres tentatives de faire de l’art au nom de la religion ou d’une idéologie. En revanche, la topographie mentale et psychique des hommes exposés à une transformation sociale et culturelle constitue un thème important. Dans une société post-musulmane, la spiritualité n’a pas encore sa propre voix".

Aucune hystérie anti-islamique chez lui donc. Mais alors, pourquoi a-t-il osé titrer sa tribune "La terreur vient du cœur de l’islam" ? Pourquoi n’a-t-il pas préféré être politiquement correct en titrant plutôt "La terreur vient du cœur de l’islamisme" ? Tout simplement parce que cet artiste courageux refuse de se voiler la face devant les convulsions exaltées qui agitent le monde musulman.

Un joug islamique séculaire

Dans sa tribune de Die Welt, Zafer Senocak n’y va pas par quatre chemins. Voici quelques-uns des extraits les plus significatifs de ce texte (un de plus...) qui sonne l’alarme :

"Même si la plupart des musulmans ne veulent pas voir cette vérité en face, le terrorisme provient du coeur même de l’islam, il arrive tout droit du Coran. Il vise tous ceux qui ne vivent pas, n’agissent pas selon les règles coraniques, soit les démocrates, les penseurs et les scientifiques inspirés par l’Occident, les agnostiques et les athées. Et il vise surtout les femmes. Il est le produit d’un islam au masculin exclusif, qui aspire de toutes ses forces à empêcher la femme d’obtenir des droits égaux et de se dégager enfin de son joug séculaire (...). Cet islam a lancé une guerre mondiale. Mais le monde fait comme s’il n’en savait encore rien. (...) Le totalitarisme des talibans et des cellules terroristes islamiques est vraisemblablement pire que le fascisme, car il ne résulte pas d’un processus civilisationnel. Il intervient dans un contexte.

Ce progrès est en fait le devoir des musulmans qui distinguent davantage dans leur religion qu’une ébauche de barbarie. Ils doivent affronter les barbares de leurs propres rangs, et ce avec fermeté et détermination. Mais quand ils le font, rarement, ce n’est jamais que du bout des lèvres (...). Les musulmans du monde entier sont aujourd’hui au pied du mur. (...) Mais, alors que le terrorisme est devenu un réseau mondial, les forces antagonistes sont indolentes ou se bloquent mutuellement. Dans le monde islamique, alors que le bon sens commun devrait s’opposer à la haine aveugle des fanatiques, la haine se répand toujours davantage dans la population. Pire encore : de nombreux dirigeants illégitimes s’allient à la haine pour préserver leur trône. Devant ce tableau, la plupart des musulmans en restent à la rhétorique. Et ils évitent la question décisive, qui consiste à savoir si leur religion est capable de donner naissance à une civilisation".

Terrible constat. Zafer Senocak poursuit en évoquant le sentiment d’humiliation et d’oppression que les musulmans ressentent vis-à-vis de l’Occident, qu’il assimile à une psychose collective, et la misère et la corruption qui gangrènent les pays musulmans, terreaux fertiles pour le désespoir et le terrorisme. Terrifiant cercle vicieux, qui selon lui doit être brisé "par l’engagement du monde libre et par l’engagement militaire, car ce n’est pas possible autrement. Ceux qui luttent contre les talibans en Afghanistan ne peuvent pas faire comme si le Pakistan ne les concernait pas. L’assassinat de Benazir Bhutto était clairement annoncé. La prise de pouvoir des terroristes du Hamas à Gaza était tout aussi prévisible".

Zafer Senocak critique ensuite l’aveuglement des Occidentaux face à cette menace : "Mais le monde libre ne fait qu’observer, comme tétanisé. La politique américaine en Irak a déclenché et continue de nourrir beaucoup de hargne en Europe. En matière de critique, les Européens sont vraiment insurpassables. Mais question idées neuves et concepts politiques, c’est la pénurie. La politique européenne face au terrorisme musulman s’épuise à miner toute action concrète. Certains veulent négocier - avec le Hamas, avec les talibans. On propose des réacteurs nucléaires à Kadhafi, on déroule le tapis rouge pour le souverain saoudien. Finalement, tout se compte en pétrodollars. Et l’Occident ne remarque pas à quel point il s’y dissout, alors que les terroristes de l’islam remportent une victoire après l’autre. Benazir Bhutto ne sera pas la dernière victime d’une politique d’apaisement vouée à l’échec face à l’islam radical".

Que chaque camp fasse son autocritique... mais qui le veut ?

Certains d’entre vous se disent peut-être déjà, en constatant que Zafer Senocak s’exprime dans les pages de Die Welt et du Frankfurter Rundschau, deux quotidiens allemands très conservateurs : "Mais qui est vraiment Zafer Senocak ? D’où parle-t-il ? Ne serait-ce pas un agent de la CIA ou du Mossad ?". Conspirationnisme, quand tu nous tiens !

A lire ses écrits libertaires pleins d’un humour décapant maniant la parodie et le grotesque, ce serait fort étonnant. Et, en plus, il s’exprime aussi dans Die Tageszeitung, journal de la gauche alternative fédérant entre autres féministes, écologistes et pacifistes. Rien à voir avec les néocons de Bush ou des sionistes extrémistes. Pour vous en convaincre, lisez ces extraits de ce texte qu’il y a publié : "Cela peut sembler cynique, mais la guerre actuelle au Proche-Orient n’est qu’un théâtre secondaire - à l’image de l’Irak et de l’Afghanistan. La guerre est depuis longtemps planétaire, c’est une troisième guerre mondiale qui ne dit pas son nom (...) On choisit un ennemi. On cultive le sentiment de menace, on crée des fronts, on cherche des alliés. Les parties opposées se fournissent des pommes de discorde : le président iranien nie l’existence de l’Holocauste ; les Etats-Unis foulent aux pieds leurs propres valeurs en Irak et se brouillent avec de vieux alliés comme la Turquie ; Israël étend au Liban tout entier son combat légitime contre les soldats de Dieu du Hezbollah et piétine les pousses fragiles de la démocratie libanaise (...) Ce n’est pas seulement un cauchemar pour l’Occident (...) C’est un cauchemar pour tous les hommes qui aspirent à vivre libres. Mais comment enrayer cet extrémisme musulman ? Par plus de bombes ? Par le dialogue ? Les bombes et le dialogue ont une efficacité limitée".

Zafer Senocak se demande alors comment arriver à désarmer les cerveaux et les mains de millions d’êtres humains pour éviter le guerrier "Choc des civilisations" prophétisé par Samuel Huntington. Selon lui, tout bombardement, fût-il nécessaire et tout dialogue, fût-il souhaitable, n’accoucheront d’aucune solution viable si les camps en présence ne se remettent pas en question : "Pourquoi chaque camp n’entamerait-il pas un dialogue interne, ouvert à l’autocritique ? Quand demandera-t-on des comptes au gouvernement américain pour les crimes qu’il a perpétrés en Irak ? Une telle attitude aurait-elle pour effet d’affaiblir ou de renforcer les valeurs occidentales ? Pourquoi le président iranien ne susciterait-il pas la même opposition que l’Occident dans les rangs du clergé musulman pour ses insupportables propos négationnistes ?".

C’est évidemment la solution de sagesse. Aucun authentique dialogue, aucun réel échange de points de vue et de valeurs n’est possible si aucun des protagonistes de ce conflit civilisationnel majeur n’accepte de faire son introspection, son autocritique. Est-ce encore possible ? Zafer Senocak ne le pense pas : "Il n’y aura ni dialogue ni pont. Seulement la barbarie de la guerre et la logique de destruction".

Que pourraient faire les authentiques démocrates libéraux et laïcs des pays musulmans pour éviter le désastre qui s’annonce ? Pas grand-chose, selon lui. Ils sont d’abord extrêmement minoritaires, ont peur de s’exprimer et se "sentent abandonnés. En trahissant leurs propres valeurs, les démocraties occidentales sacrifient également la crédibilité de leurs alliés dans les Etats autoritaires".

C’est sûr que Guantanamo, le Patriot Act, les exactions des mercenaires et de l’armée américaine en Irak, et le fanatisme religieux des néocons américains n’ont rien arrangé... même si ce ne sont que des épiphénomènes qu’il faut resituer à l’intérieur de la confrontation entre un Occident riche, dominateur et pornographiquement matérialiste à la fois haï et envié par un monde islamique pauvre, dominé, enkysté dans le marasme d’une religiosité à la fois exaltée pudibonde corsetée par des dictatures impuissantes.

La fin de l’entretien de Zafer Senocak au Tageszeitung est terrible et concerne plus spécifiquement son pays natal : "Il aurait été nécessaire de faire de la Turquie musulmane une démocratie laïque afin d’aiguiller le Proche-Orient sur la voie du changement. Mais les acteurs du conflit n’obéissent qu’à leur propre logique. L’objectif des fomenteurs de guerre n’a jamais été de construire, mais de détruire".

Atatürk a essayé. Il a un tout petit peu réussi (dans la partie occidentalisée de son pays) et énormément échoué (dans la Turquie profonde), rétrospectivement. Revient alors cette antienne : l’islam est-il soluble dans la démocratie laïque ? Et que veut dire cette question, quand la démocratie en Occident n’est plus qu’un théâtre de marionnettes dont le capitalisme financier et spéculatif mondialisé tire les ficelles pour l’unique profit de quelques-uns (parmi lesquels figurent entre autres les dictateurs musulmans corrompus) ?

Une prophétie d’André Malraux

On prête à André Malraux cette phrase prophétique : "Le XXIe siècle sera religieux ou ne sera pas". Il n’est pas du tout certain qu’il l’ait jamais prononcée (aucune trace de cette déclaration n’a été conservée), mais on ne prête qu’aux riches, et l’écrivain avait au plus haut point le sens de la formule. Il semblerait qu’il ait plutôt dit que "le grand problème du XXIe siècle sera celui des religions", ce qui va bien dans le sens de ce qu’il écrivait à la fin de son livre L’Homme précaire : "Nous souviendrons-nous que les éléments spirituels capitaux ont récusé toute prévision"...

Quoi qu’il en soit, il avait vu juste : les religions, et en particulier l’islam, sont bel et bien de retour, comblant le vide qu’ont laissé les grandes idéologies sécularisées qui se sont affirmées puis effondrées au XXe siècle.

A propos du retour de l’islam, voici de qu’André Malraux en disait en 1956 : "C’est le grand phénomène de notre époque que la violence de la poussée islamique. Sous-estimée par la plupart de nos contemporains, cette montée de l’islam est analogiquement comparable aux débuts du communisme du temps de Lénine. Les conséquences de ce phénomène sont encore imprévisibles. À l’origine de la révolution marxiste, on croyait pouvoir endiguer le courant par des solutions partielles. Ni le christianisme, ni les organisations patronales ou ouvrières n’ont trouvé la réponse. De même aujourd’hui, le monde occidental ne semble guère préparé à affronter le problème de l’islam.

En théorie, la solution paraît d’ailleurs extrêmement difficile. Peut-être serait-elle possible en pratique si, pour nous borner à l’aspect français de la question, celle-ci était pensée et appliquée par un véritable homme d’Etat. Les données actuelles du problème portent à croire que des formes variées de dictature musulmane vont s’établir successivement à travers le monde arabe. Quand je dis ’musulmane’, je pense moins aux structures religieuses qu’aux structures temporelles découlant de la doctrine de Mahomet. Dès maintenant, le sultan du Maroc est dépassé et Bourguiba ne conservera le pouvoir qu’en devenant une sorte de dictateur. Peut-être des solutions partielles auraient-elles suffi à endiguer le courant de l’islam, si elles avaient été appliquées à temps. Actuellement, il est trop tard !

Les ’misérables’ ont d’ailleurs peu à perdre. Ils préféreront conserver leur misère à l’intérieur d’une communauté musulmane. Leur sort sans doute restera inchangé. Nous avons d’eux une conception trop occidentale. Aux bienfaits que nous prétendons pouvoir leur apporter, ils préféreront l’avenir de leur race. L’Afrique noire ne restera pas longtemps insensible à ce processus. Tout ce que nous pouvons faire, c’est prendre conscience de la gravité du phénomène et tenter d’en retarder l’évolution" (André Malraux, le 3 juin 1956, Elisabeth de Miribel, transcription par sténo, source Institut Charles de Gaulle).

C’était il y a 51 ans. Nous y sommes. Malraux s’était trompé sur la pérennité du communisme. Il ne semble pas qu’il en soit de même en ce qui concerne l’islam. Les religions ont la vie plus dure que les idéologies, et notre époque ressemble curieusement et furieusement aux êtres qui hantent les écrits de Zafer Senocak : "Mes personnages sont des consciences en rupture, très typiques de leur époque. Cette schizophrénie engendre chez eux une quête absolue de l’identité, comme une drogue".

Une drogue dure, un "opium du peuple" répandant la terreur. Il serait temps de se déciller les yeux.

( Al-Qaïda forme des enfants pour des attentats en Grande-Bretagne )